Librairie Pierre Saunier

Les 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureuxLes 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureux Les 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureuxLes 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureux Les 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureuxLes 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureux

Astruc (Zacharie).
Les 14 Stations du Salon – 1859 – suivi d’un récit douloureux. Préface de George Sand.

Paris, Poulet-Malassis & de Broise, 1859 ; in-12, demi-veau marine, dos à nerfs orné, fleurons dorés, tranches jaspées (reliure d'époque). IV & 408 pp.

17 000 €

Édition originale.

Bel envoi a. s. : à Édouard Manet, à mon fidèle ami, au vaillant artiste, celui qui l’aime et l’admire, Zacharie Astruc

Remarquable dédicace témoignant de l’amitié d’Édouard Manet et de Zacharie Astruc, son premier défenseur...

Artiste aux dons multiples, peintre, sculpteur (cf. La Méduse-Astruc de Léon Bloy qui fait d’Astruc le bienveillant Gacougnol de La Femme pauvre), musicien, écrivain, poète, journaliste et critique d’art, Zacharie Astruc, partisan précoce de la cause réaliste, est un peu l’ange Gabriel de l’impressionnisme, l’une de ses figures tutélaires, obligées… et oubliée. Élu du Guerbois ou de La Nouvelle Athènes où il apparaît journellement, il connaît tout le monde et tout le monde le connaît, ses amis sont nombreux, Bazille, Pissarro, Barbey, Banville ou Carolus Duran qui donnera sur ses recommandations des leçons de peinture à Berthe Morisot – par son intercession, Zola et Monet, qui n’ont encore ni rond ni renom, rencontreront Manet.

Astruc apparut chez ce dernier à vingt ans (1855), fauché et hirsute comme un cénobite, sandales aux pieds et braies sous bandelettes, apportant des bois cloisonnés peints de type espagnol et des poèmes superbement calligraphiés dont il faisait alors le trafic pour subsister. Le début prometteur d’une amitié et d’une connivence qui ira s’épanouissant – Manet finira par tutoyer Astruc, ce qui n’arriva jamais avec Baudelaire, Zola ou Mallarmé. Il avait été le premier à ferrailler pour lui quand le public le prenait pour un farceur ou que Baudelaire se taisait – prophétisant avec audace à l’apparition du Déjeuner sur l’herbe (alors Le Bain) du Salon des refusés de 1863 – l’éclat, l’inspiration, la saveur piquante, l’étonnement (du Salon) : la grande intelligence (de Manet), beau fruit encore un peu vert et âpre – fort mauvais, je l’avoue, pour des lèvres trop minaudières – demande à fonctionner librement dans une sphère nouvelle qu’il vivifiera.

Après l’accrochage hystérique de l’Olympia (sur le cadre de la toile Manet avait inscrit cinq vers de notre auteur, Quand lasse de songer l’Olympia s’éveille...) et pour lui faire oublier ses continuelles déceptions et la critique outrancière qui l’accablait, Astruc lui mitonna en Espagne une convalescence artistique de premier ordre à partir de ses admirables connaissances en peinture et architecture hispaniques. Également féru de japonisme (une passion que partageait Manet), il fut aussi un des premiers spécialistes de l’Art Japonais (collectionneur actif pour ne pas dire trafiquant) que Goncourt et Burty jalousaient secrètement.

Manet a réalisé plusieurs portraits de notre auteur : Portrait d’Astruc assis à sa table de travail, qu’il peint à son retour d’Espagne (tableau que l’on interprète comme un témoignage mutuel d’amitié), ou pinçant nonchalamment les cordes d’une guitare auprès de son épouse dans La Leçon de musique. Il le représente assis, tête nue – seul personnage sans chapeau parmi le groupe de ses amis (Baudelaire, Gautier, Champfleury, Fantin-Latour, Offenbach, Scholl, etc) éparpillés dans la multitude des figures portant haut de forme de La Musique aux Tuileries (1862) : hommage (c’est-à-dire chapeau bas) ou trait de simplicité que permet leur proximité ? Fantin-Latour les réunira aux côtés de Renoir, Zola et Monet, dans son Atelier aux Batignolles peint en 1878 (Astruc est assis à côté de Manet), autre station emblématique de l’histoire de l’art. Quant à Bazille, jeune prophète de l’impressionnisme, il le représente avec, à la main, le cigare qui devait allumer les feux de la Saint-Jean la veille de sa disparition à la bataille de Beaune-la-Rolande.

En 1881, sainte année palindromique des inclinations, Astruc exposa au Salon le buste de Manet auquel il faillit, au désarroi de son modèle, incruster les orbites oculaires de gemmes scintillantes, en souvenir d’une rousse aux yeux verts rencontrée à l’Exposition d’électricité (de la gare de Nantes ?). L’auteur de ces 14 stations porta également la croix de la Société anonyme des peintres, sculpteurs et graveurs, à l’origine des expositions impressionnistes – il accroche à la première d’entre elles une demi-douzaine de toiles – mais ce sont sa critique artistique et l’admiration qu’il témoigne à ses amis peintres qui feront davantage pour sa mémoire.

Le Salon de 1859 avait 14 salles d’expositions – d’où le titre facétieux du livre dont la couverture est illustrée d’un autoportrait d’Astruc se représentant en aveugle déambulant devant des tableaux, guidé par une canne taillée dans une plume… Un aveugle de 24 ans à l’œil affuté du praticien des arts qu’il est, non dénué de couleurs, exubérant, fantasque, arrogant, sarcastique, passionné ou expéditif – ménageant dans sa méticuleuse recension des chapelles à ses peintres aimés, les Corot, Rousseau, Pissarro, Delacroix, Daubigny, Millet, Legros, etc. – la plus belle étant pour Courbet dont Astruc fait l’apologie dans le Récit douloureux qui clôt le volume. Avec le Salon de 1859 de Baudelaire, publié dans la Revue française (Poulet-Malassis manqua de le publier en volume), les 14 stations constituent le commentaire le plus décisif de l’évènement. Aucune entrée pour Manet : Le Buveur d’Absinthe, son premier envoi à un salon, fut refusé par le jury.

Une petite tache angulaire d'encre délavée au bas des premiers feuillets.

Un des tous premiers livres dédicacés à Manet et non le moindre.